Aller au contenu

L’unité de l’Église et la primauté de Rome

Texte écrit par Daniel-Rops et tiré du livre « Histoire de l’Église du Christ », Tome III : Les apôtres et les martyrs. La primauté de l'Eglise qui est à Rome est visible dans les premières années du Christianisme.

L’effort d’organisation qu’on voit, en tous domaines, accomplir par l’Église des premiers siècles, ne devait-il pas l’amener à se poser le problème institutionnel de son unité ? Le sentiment de l’unité, si profond, nous l’avons vu, dans la conscience chrétienne, ne devait-il pas se manifester dans les faits ? Tant que les apôtres du Christ avaient été vivants, ils avaient pu contrôler eux-mêmes les communautés qu’ils avaient créées et, maintenant entre eux des liens d’amitié, incarner tout à la fois et garantir la fraternité des fidèles. Les Douze disparus, les mêmes relations d’affection leur survécurent. C’est aussi un des traits touchants de la chrétienté naissante que ces échanges constants de visiteurs, de rapports et de lettres entre les Églises. Des amis écrivent à des amis, des frères visitent des frères. Quand une communauté a un bel exemple de foi à proposer, elle en avertit les autres, par exemple une scène héroïque de martyre. Quand l’une possède des textes dignes d’être médités, elle les communique : ainsi sont divulgués les recueils des lettres de saint Paul ou de saint Ignace d’Antioche.

Mais de telles relations, de tels liens d’amitié, pourraient n’être que ceux d’une fédération d’Églises s’efforçant de garder intact le dépôt de la foi, de mettre en œuvre la charité, de conserver le sens spirituel de l’unité chrétienne. Faut-il aller plus loin ? Faut-il admettre que, dès les premiers temps, une des communautés a joué un rôle prééminent, a été reconnue par les autres comme investie d’une autorité spéciale ? Problème infiniment discuté, il va de soi, puisqu’il met en cause les fondements de l’Église catholique actuelle. Il semble pourtant que les textes permettent de le résoudre.

Vers 95, à la fin du règne de Domitien, des troubles se produisirent dans l’Église de Corinthe, la plus importante des communautés chrétiennes de Grèce. A Rome, les fidèles traversaient une cruelle épreuve. A peine sortie de la persécution, l’Église de la Ville éternelle dépêche à sa sœur hellénique une ambassade de trois hommes, porteurs d’une lettre écrite tout exprès pour les Corinthiens, par l’évêque romain Clément. Cette lettre est un modèle de sagesse, de mesure, un témoignage magnifique d’intelligence et de charité. A cette communauté troublée, menacée de sécession, énervée par des intrigues, Clément multiplie les conseils de raison. Il parle avec une autorité frappante, nettement en homme qui veut être obéi. Avait-il été consulté dans cette affaire, ce qui impliquerait que sa prééminence était dès lors reconnue ? Ou bien avait-il agi de sa propre autorité, ce qui signifierait que le prestige de l’Église romaine et de son chef était tel qu’une initiative de ce genre pouvait être prise ? Il n’existe pas, en tout cas, aucun signe que cette démarche ait suscité à Corinthe irritation ou jalousie. C’est donc un témoignage incontestable qu’un primat, au moins de fait, reconnu à la communauté de Rome.

 

Il y en a d’autres. Voici en quels termes saint Ignace d’Antioche s’adresse à l’Église romaine : « À l’Église qui préside le lieu de la réunion des Romains, digne de Dieu, digne d’honneur, digne de bénédiction, digne de louange, digne d’être exaucée, digne en chasteté, et présidente de la fraternité selon le Christ. » Hyperboles orientales que ces phrases ? Non, pas seulement. Le ton n’est pas le même dans les autres dédicaces du saint, et deux expressions méritent d’être soulignées : qui préside dans le lieu de la région des romains, formule qui semble sous-entendre quelque chose de particulier, de différent par rapport aux autres églises qu’on nomme seulement du nom de leur cité , Église d’Antioche, Église de Tralles ou de Smyrne ; présidente de la fraternité, en grec de l’agapé, mot qui, rappelons-le, dans le christianisme primitif, désigne l’unité chrétienne elle-même, c’est à dire l’Église.

 

C’est en 106 qu’Ignace d’Antioche écrit de telles phrases. Quelques trente-cinq ans plus tard, Hermas, l’auteur du traité mystique aux visions étranges dit Le Pasteur, terminant son œuvre, confie à l’évêque de Rome le soin de la transmettre à toutes les Églises.

(…)

Et quelques années plus tard encore, vers 180, saint Irénée, évêque de Lyon, définissant en face des hérésies gnostiques la pureté des dogmes, cite comme référence décisive la doctrine de l’Église de Rome : « C’est avec cette Église, en effet, à cause de sa haute prééminence, que doit être d’accord toute l’Église, c’est à dire tous les fidèles épars dans l’univers. C’est en elle que les fidèles des tous pays ont conservé la tradition apostolique. »