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Tout petit traité de l'espérance

Élisabeth Leseur écrit à sa soeur Marie un "tout petit traité de l'espérance", pour l'aider à faire confiance à Dieu dans la maladie.

TOUT PETIT TRAITÉ DE L’ESPÉRANCE

Offert par une âme qui doit tout à Dieu et rien à elle-même à la chère âme qui lui a peut-être obtenu ces grâces par ses épreuves et ses mérites.

L’Espérance n’est pas une vertu humaine.

Livré à lui-même, dans l’enfance et la jeunesse, parfois même plus tard, l’homme, par un instinct profond de sa nature, connaît l’espoir qui lui fait entrevoir, désirer ou poursuivre ce qu’il croit être le bonheur. Mais, soit parfois dans la jeunesse, soit plus tard au long de la vie, l’homme voit ses illusions tomber une à une et ses espoirs ne deviennent que rarement des réalités. Nombreuses sont les existences dans lesquelles chaque journée apporte un regret, une tristesse ou une déception ; nombreux les cœurs qui de leurs rêves n'ont gardé que ce parfum subtil exhalé par un flacon dont le contenu s’est depuis longtemps évaporé.

Pour ceux qui ne croient et ne prient pas, pour ceux qui n’ont jamais recueilli toutes les facultés de leur âme en un acte de vivante adoration, pour ceux-là les espoirs d’hier deviennent les douloureuses réalités de de main.

Qui les consolera? Qui fera entendre aux âmes brisées la parole qui relève et console? La parole humaine lorsqu’elle est dépouillée de son divin contenu est un son vain qui retentit et s’éteint sans laisser de trace. C’est le Verbe Éternel qui donne à notre humble verbe sa fécondité.

L’Espérance seule pourra accomplir cette tâche; mais l’espérance surnaturelle. L’espérance humaine n’est qu’un état, non une vertu, un état tout passif de notre esprit influencé par des circonstances extérieures à lui-même. Une vertu, —le mot l’indique, — est une force, force acquise par un travail personnel lorsqu’il s’agit de vertu naturelle ; force donnée par grâce spéciale lorsqu’il s’agit de vertu surnaturelle. Dans le cas présent, jamais, quels que soient nos efforts, nous ne pourrons arriver à espérer lorsque toutes les circonstances nous sont défavorables, que l’épreuve s’abat sur nous ou que les angoisses du corps et de l’âme nous étreignent et nous broient. Non, l’optimisme, même le plus béat ou le plus égoïste, est parfois contraint de céder, et les êtres les plus désespérés sont souvent ceux qui avaient attendu beaucoup de la vie et à qui la vie avait semblé longtemps sourire.

L’espérance humaine s’appelle l’espoir, et l’autre face de l’espoir a nom : déception.

Et c’est ici que le Christianisme apparaît une fois de plus, mieux que jamais peut-être, sublime et consolant. Certes, il est le grand créateur de foi et « nul ne va au Père que par lui » c’est-à-dire par le Christ Jésus. Il nous donne par la charité toutes les énergies du bien et cet amour unique et passionné que signifie le mot même de charité. Ce sont là deux vertus théologales, non plus des vertus naturelles, résultat de nos expériences, produit de nos seuls efforts, mais force émanée directe ment de Dieu, grâce venue de Lui Seul, par sa Volonté libre et dont notre libre arbitre dispose alors, force extérieure à notre âme et qui prend possession de cette âme par une gratuite et ineffable miséricorde.

L’Espérance est aussi une vertu théologale, un don divin, et c’est ce que semblent oublier même des chrétiens. Nous ne pouvons la posséder de nous-mêmes, mais nous pouvons la demander par une Je ces prières ferventes et humbles qui obtiennent tout. Nous pouvons et nous devons implorer la grâce divine et lui demander d’apporter à notre âme cette force intime, cette sérénité qui illumine la vie et transforme aux regards de notre âme notre âme elle-même, le monde et la vie. Certes, comme pour toute vertu. il faut préparer le terrain à la grâce par un constant effort sur nous-mêmes, par le souci d'écarter toute préoccupation, toute agitation susceptibles de troubler en nous l’action divine ; ceci fait, il faut Dieu pour nous donner l’espérance surnaturelle et la vie qu’elle procure à notre âme.

Mais lorsque Dieu nous a fait cette grâce, lorsqu'il nous a révélé l’espérance chrétienne, et que notre âme s’est, en quelque sorte, assimilé cette vertu et en vit; lorsque nous avons laissé l’action de Dieu s’exercer en nous et que, comprenant la beauté de son œuvre, vivant d’avance les réalités éternelles, demandant à ses sacrements la lumière et l’aliment nécessaire, nous découvrons tout ce que nous pouvons mettre par Lui d’harmonie dans notre vie, alors, quelles que soient les tristesses, les déceptions venues des hommes ou des choses, les regrets du passé ou les angoisses de l’avenir, tout cela disparaît en quelque sorte ou plutôt se transforme. L’homme devient plus fort que ce qui le tue, suivant le mol de Pascal, et, que nous vivions ou mou rions, dans la joie ou dans la douleur, agissant ou bien étendus sur un lit de souffrance, nous pouvons pousser le cri de saint Paul que l'Eglise nous répète sans cesse dans son admirable liturgie et servir Dieu dans « la joie » et dans « l’allégresse » avec « Jésus- Christ vivant en nous ». Nous savons que rien ne se perd, dans le domaine spirituel comme dans le domaine physique, et que le plus infime de nos actes, la plus ignorée de nos prières a une répercussion dont nous ne pouvons mesurer la puissance, dans l’espace et la durée et tant qu’un cœur humain pourra, dans la suite des âges, subir notre lointain et mystérieux contact.

Quelle raison d’agir I Quelle explication de la souffrance ! Quel but à nos efforts et à notre vie! Pauvre race humaine, qui portes en toi les espoirs indestructibles et ne sais pas toujours les appuyer à ce qui est éternel!

Résumons ces quelques pensées : l’espérance est surnaturelle, force et don de Dieu. Elle nous fait comprendre et éclaire pour nous la vie, la souffrance, la mort qui n’est que la vie continuée et toutes les vérités d’au-delà. Elle nous établit en union plus intime avec Dieu, élargit pour nous ce merveilleux domaine des âmes que la Foi nous entr'ouvre et dans lequel la Charité noue fait pleine ment pénétrer, ce domaine dans lequel tant de gens n’entrent jamais qui vivent à la sur face des êtres, et qui est pourtant le domaine de tout chrétien. — « Tôt ou tard, disait Lacordaire, on ne vit plus que pour les âmes. » — Sachons les chercher, les deviner, aimons- les, toutes, depuis celle de l’humble servante qui vit à côté de nous, depuis celle que nous voile parfois une enveloppe ridicule ou une morose humanité, jusqu’aux âmes lointaines ou inconnues qu’atteindront toujours notre prière et notre souffrance et qui sauront seulement dans l’éternité que notre tristesse d’un jour ou notre sacrifice humblement consenti leur a obtenu la Vie.

Mettons tous nos désirs, toutes nos tendresses, tous nos espoirs humains sous la garde de la surnaturelle Espérance et demandons-la chaque jour à Dieu pour nous, pour ceux que nous aimons et pour les âmes, afin qu’elle nous fasse à tous la vie plus féconde, l’âme plus sereine et douce, la mort même utile et belle, et ne nous abandonne qu’à ce seuil de l’Éternité où, dans l’Unité Vivante, ne subsistera plus que la rayonnante et divine Charité. « Les autres vertus passeront, mais la Charité demeurera éternellement. »