Journal d'Élisabeth Leseur. 1ère partie
Les premiers jours du journal d'Élisabeth Leseur, à partir de septembre 1899
Journal. Première partie 1899-1906
11 septembre 1899
Depuis un an j’ai beaucoup pensé, beaucoup prié ; j’ai cherché sans cesse à m’éclairer et, dans ce travail perpétuel, mon esprit a acquis plus de maturité, mes convictions sont devenues plus profondes et aussi mon amour pour les âmes. Qu’y a-t-il de plus grand que l’âme humaine ? De plus beau qu’une conviction ?
Il faut créer en nous un « esprit nouveau », esprit d’intelligence et de force ; il faut nous renouveler et vivre d’une vie intérieure très intense. Il faut prier, il faut agir. Il faut que chaque jour de notre vie nous rapproche davantage du Bien et de l’intelligence suprême, c’est-à-dire de Dieu.
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19 Septembre 1899
Je veux aimer d’un amour particulier ceux que leur naissance, leur religion ou leurs idées éloignent de moi ; ce sont ceux-là surtout que j’ai besoin de comprendre et qui ont besoin que je leur donne un peu de ce que Dieu a mis en moi.
20 Septembre 1899
Je me suis mise à l’étude de la philosophie, et cela m’intéresse beaucoup. Cette étude-là rend claires beaucoup de choses et met de l’ordre dans l’esprit. Je ne comprends pas qu’on n’en fasse pas le couronnement de toute éducation féminine. Ce qui manque souvent à la femme, c’est un jugement droit, l’habitude du raisonnement, le travail d’esprit personnel et soutenu. La philosophie pourrait lui donner tout cela ; la dépouiller de tant de préjugés et d’idées étroites qu’elle transmet religieusement à ses fils, au grand détriment de notre pays.
21 Septembre 1899
Quels admirables débuts que ceux de l’Église chrétienne, retracés dans les Actes des Apôtres ! « Ceux qui croyaient étaient tous unis ensemble, et tout ce qu’ils avaient étaient communs entre eux. Ils vendaient leur terre et leurs biens et ils les distribuaient à tous, suivant le besoin que chacun avait. Ils persévéraient aussi tous les jours dans le temple, dans l’union d’un même esprit ; et, rompant le pain dans les maisons, ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de coeur, louant Dieu et étant aimés de tout le peuple. »
« Etant aimés de tout le peuple » c’est-à-dire des petits, des humbles, de ceux qui croyaient avec eux et comme eux, et de ceux qui ne partageaient pas encore leur divine croyance ; eux, les méprisés, les haïs, avaient trouvé, au bout de peu de temps, le moyen d’être « aimés de tout le peuple ». Combien de chrétiens pourraient maintenant se rendre le même témoignage ? Combien ont au cœur la flamme évangélique qui purifie et éclaire tout ce qui l’approche ? Revenons à la source sainte, à l’Évangile, parole de Dieu. Puisons là des leçons de force morale, de patience héroïque, de tendresse pour tous les êtres et pour les âmes. Nous, chrétiens, évitons toujours de « briser le roseau courbé » ou encore « d’éteindre la mèche qui fume encore ». Ce roseau, c’est peut-être l’âme souffrante et douloureuse d’un de nos frères, et l’humble mèche qu’éteint notre souffle glacé est parfois une noble intelligence que nous aurions pu ranimer et grandir. Prenons garde, rien n’est délicat et sacré comme l’âme humaine, rien ne peut être plus vite froissé. Que chacune de nos paroles, chacun de nos actes porte en lui un principe de vie qui, pénétrant d’autres esprits, leur communiquera lumière et force et leur révélera Dieu.
25 Septembre 1899
Nul ne connaît ce qui se passe en nous aux dernières profondeurs de l’âme. Sentir Dieu près de soi. Méditer, prier, recueillir en nous toute pensée profonde, pour s’en pénétrer, cela constitue la vie intérieure, et cette vie intérieure est la joie suprême de la vie. Mais tant de pensées qui nous ont émus, tant de désirs ardents, de résolutions généreuses, doivent se traduire en actes ; car nous sommes en pleine vie humaine, et une grande tâche est devant nous. C’est le moment de l’effort douloureux, car il faut s’arracher à soi-même, quitter le domaine de la pensée pour celui de la réalité, affronter l’action, savoir que l’on sera pas ou mal compris, et que l’on souffrira peut-être par l’humanité d’avoir voulu le bien de l’humanité. Il faut avoir puisé en Dieu une force incomparable, avoir armé son cœur de patience et d’amour, pour commencer jour par jour, et heure par heure, l’œuvre qui doit être celle de tout chrétien : le salut moral et matériel de ses frères.
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