Le leadership vertueux - Premier chapitre
Le Leadership vertueux est le premier livre d'Alexandre Dianine-Havard, celui qui l'a fait connaître au grand public, publié initialement sous le titre de La méthode Havard. Nous vous en faisons découvrir les premières pages, pour vous donner envie de le lire.
Préambule de l’auteur
Un incident du hasard, aussi beau qu’inattendu, me vient à l’esprit quand je contemple la grandeur du cœur humain, condition sine qua non du leadership, et le sujet même de ce livre.
Cela se produisit lors d’un voyage en autobus entre Saint-Pétersbourg et Helsinki, un matin glacial de l’hiver 1992, peu après la chute du communisme. Toute l’ex-Union soviétique traversait alors une période de baisse de production, d’inflation vertigineuse et de chômage rampant. Les personnes âgées russes se trouvaient dans des situations dramatiques, car l’inflation avait rendu leurs maigres retraites quasi inexistantes. Beaucoup d’entre elles en étaient réduites à ramasser des bouteilles dans les décharges pour les échanger contre la caution. C’était leur seule manière de survivre.
Alors que l’autobus finlandais bondé roulait à travers la Russie, je fus frappé par le contraste entre le paysage d’hiver immaculé défilant devant ma fenêtre, et l’atmosphère morale moins qu’édifiante à bord. Le passager devant moi, évanoui depuis le début du voyage dans un profond coma éthylique, ronflait comme un porc, vautré sur son siège. Le passager à ma droite m’assommait avec des histoires de mauvais goût et d’une grossièreté pesante.
À mon grand soulagement, notre autobus s’arrêta sur une aire de repos en face de la gare de chemin de fer de Vyborg, dernière ville russe avant la frontière finlandaise. Sous le soleil brillant à travers les flocons de neige, je décidai donc de braver le froid pour explorer les alentours.
Je tombai alors sur une petite vieille fouillant dans une pile de déchets, à la recherche de quelque chose à utiliser, à vendre ou à échanger contre quelques piécettes. Je tirai de ma poche mes derniers roubles. « Babouchka, prenez les s’il vous plaît ». Elle me regarda droit dans les yeux et me sourit, radieuse. Je vis alors qu’elle était plus jeune qu’elle ne paraissait. Soucieux de ne pas rater mon autobus, je rejoignis précipitamment la gare. Alors que je montais à bord, j’entendis derrière moi une voix et me retournai. C’était la vieille dame courant vers moi aussi vite qu’elle le pouvait, un sourire rayonnant au visage, et me tendant un bouquet de fleurs. Je l’acceptai, elle disparut sans un mot.
Nous traversions la frontière, laissant au loin ma Russie bien-aimée. Je me recalai bien sur mon dossier, et fermai les yeux en imaginant cette vieille femme achetant les fleurs avec l’argent dont elle avait pourtant désespérément besoin, sans être certaine de me retrouver. Je m’émerveillai de son désintéressement et de sa générosité. J’étais submergé de joie, dans un profond amour de la vie, avec le désir de me convertir, de purifier mon cœur, de devenir meilleur. Il n’est pas si inhabituel qu’une telle rencontre avec la bonté personnifiée donne des ailes à notre âme.
Dans ce livre, et dans les séminaires de leadership que j’anime devant des auditoires de cultures, de langues et de religions très variées, je m’efforce de transmettre ce que la vieille dame de Vyborg m’a transmis. Il n’y a rien de plus satisfaisant que de voir les étudiants et professionnels participant à mes séminaires de leadership désirer croître dans la pratique consciente et quotidienne des vertus humaines. Quand ils comprennent que le leadership est service - vertu en action ! - je sens leurs âmes prendre leur envol.
Introduction L’ESSENCE DU LEADERSHIP : LE CARACTERE
Le leadership n’est pas seulement ce que nous pouvons imaginer de manière superficielle. En entendant ce mot, l’on pense à des chefs d’états ou de gouvernements entraînant les nations à l’action, à des capitaines d’industrie lançant sur le marché des produits qui changeront nos vies, à des généraux manœuvrant des armées dans la bataille. On attribue au leadership un mélange d’ambition, de charisme, d’habileté, de compétence, d’argent, et surtout le don d’être à la bonne place au bon moment. Ce sont certes des talents et des qualités que nous devons utiliser au mieux, mais aucun d’eux ne constitue l’essence du leadership.
L’essence du leadership, c’est le caractère.
Il y a ceux qui pensent que l’on est né pour diriger, que certains ont le « truc pour » et d’autres non, que le leadership est principalement une affaire de tempérament combiné avec de l’expérience. Tout le monde, disent-ils, ne peut être un de Gaulle, un Churchill, un Roosevelt. Or, rien n’est plus éloigné de la vérité. Le leadership n’est pas réservé à une élite. C’est la vocation non pas du petit nombre, mais de beaucoup. Les chefs d’états et les professeurs d’écoles, les capitaines d’industrie et les maîtresses de maison, les chefs d’état major militaire et les aides médicaux, tous exercent le leadership. On attend d’eux qu’ils soient des hommes et des femmes de caractère et de vertu, qu’ils soient motivés par une vision magnanime pour tous ceux dont ils ont la charge. Et grande est notre déception quand ils échouent.
Les scandales récents du monde des affaires donnent lieu à des demandes de contrôle des pouvoirs publics, à des réformes de gouvernance d’entreprise et de révision des codes d’éthique professionnelle. Ces éléments sont à mettre en place certes, mais ils passent à côté de l’essentiel. Les auteurs de méfaits dans la gestion des entreprises savent parfaitement qu’ils agissent mal. Et cependant, ils le font. Cela révèle une grande insuffisance de caractère.
Martin Luther King rêvait d’une Amérique dans laquelle un homme serait jugé « non sur la couleur de sa peau, mais sur les caractéristiques de son caractère ».
Quelles sont-elles ? Ce sont les vertus ou, plus précisément, l’ensemble des vertus humaines telles que la magnanimité, l’humilité, la prudence, le courage, la maîtrise de soi et la justice, qui sont le sujet de ce livre.
J’affirme qu’un leader, ou bien s’efforce de croître en vertu aussi sûrement qu’il respire, ou bien il n’a de leader que de nom. La vertu, en effet, est plus qu’une simple valeur : elle est une force dynamique qui augmente notre capacité d’agir, si nécessaire au leader. La vertu, par ailleurs, engendre la confiance sans laquelle le leadership est impossible.
Ce livre est destiné à ceux qui ont un grand objectif dans leur vie, et quel objectif est plus grand que la quête d’excellence personnelle ?
Dans cet ouvrage, nous définirons donc chacune des vertus humaines les plus essentielles au leadership (première et deuxième parties), puis nous examinerons comment les leaders croissent en vertu (troisième partie), nous démontrerons comment les vertus conduisent à l’accomplissement personnel (quatrième partie), et considèrerons l’impact des vertus surnaturelles de foi, d’espérance et de charité sur le leadership (cinquième partie 5).
Ce livre est le résultat des nombreux séminaires du même nom que je dirige, au cours desquels les participants me posent invariablement la même question : « Ce que vous dites sur la vertu est parfait, mais je suis très pris par mon travail et ma famille. Comment, d’un point de vue pratique, puis-je réaliser l’excellence personnelle dont vous parlez ? »
La réponse se trouve dans le dernier chapitre, « Un programme pour la victoire ». Là, vous y découvrirez une méthodologie pour la réalisation de l’excellence personnelle testée et éprouvée, et destinée tout particulièrement aux personnes très occupées par leur vie professionnelle.
Mais avant de présenter le système des vertus dans la perspective du leadership, il est nécessaire d’expliquer, ne serait-ce que brièvement, les concepts de caractère, vertu et tempérament.
* * *
« C’est par le caractère que s’exerce le leadership [1] », affirme Peter Drucker, célèbre théoricien du management.
Son confrère Warren Bennis est du même avis : « Le leadership n’est pas une question de style... C’est quelque chose de beaucoup plus profound. On devient un leader de la même manière que l’on devient un être vertueux » [2].
Nous acquérons les vertus par nos efforts. L’effort même pour les acquérir est un acte de leadership.
Le leadership n’est donc pas affaire de tempérament, car le tempérament nous est donné par la nature. Le tempérament de l’un est flegmatique ou sanguin, non parce qu’il l’a choisi, mais parce que la nature en a décidé ainsi.
Le leadership ne peut être qu’une question de caractère. Le caractère ne nous est pas imposé par la nature. Nous pouvons le modifier, le modeler et le renforcer.
Nous renforçons notre caractère par la pratique des habitudes morales, appelées vertus éthiques ou vertus humaines. Ainsi, le caractère laisse une trace indélébile sur notre tempérament, qui cesse alors de dominer notre personnalité.
Les vertus sont des qualités de l’intelligence, de la volonté et du cœur. Elles imprègnent la force de caractère et la stabilité de la personnalité. Elles sont acquises par la répétition.
Les quatre principales vertus humaines définies par Platon sont la prudence, la justice, le courage et la maîtrise de soi. Ce sont les vertus cardinales, du latin cardo ou « charnière », sur lesquelles les autres vertus s’appuient. Chacune des vertus non cardinales est liée et dépend de l’une des vertus cardinales.
Dans le Livre de la Sagesse, nous lisons: « La sagesse [...] enseigne la maîtrise de soi et la prudence, la justice et le courage, et rien dans la vie n’est plus utile aux hommes. [3] » Que l’Ancien Testament mentionne les quatre vertus cardinales montre que les Juifs appréciaient grandement la sagesse des Grecs anciens.
Nous devons mentionner deux autres vertus : la magnanimité et l’humilité. Elles sont toutes deux fondamentales, quoiqu’elles ne soient pas considérées comme cardinales par la tradition. Les Grecs faisaient dépendre l’humilité de la vertu cardinale de maîtrise de soi, et la magnanimité de la vertu cardinale de courage.
Les vertus sont des forces dynamiques, comme l’indique l’origine latine virtus, qui signifie « force » ou « pouvoir ». Chaque vertu, quand elle est pratiquée habituellement, améliore progressivement notre capacité d’agir.
Voilà ce dont nous rendent capables chacune des six vertus en question :
- Prudence : prendre les bonnes décisions,
- Courage : maintenir le cap, et résister aux pressions de toutes sortes,
- Maîtrise de soi : subordonner les passions à l’esprit et les canaliser vers la réalisation de notre mission,
- Justice : donner à chacun son dû.
- Magnanimité : répondre à sa vocation, réaliser sa mission, fixer des objectifs personnels élevés pour soi-même et pour les autres,
- Humilité : dépasser son propre ego et servir les autres d’une manière habituelle.
Les vertus ne sont pas un substitut de la compétence professionnelle ; elles sont plutôt une partie substantielle de cette compétence. J’aurais beau avoir un doctorat en psychologie et travailler comme consultant, si je manque de prudence, quels conseils vais-je donner à mes patients ? J’aurais beau avoir un MBA et être directeur général d’une multinationale, si je manque de courage, serais-je capable de maintenir mes décisions jusqu’au bout en face d’une opposition sérieuse ? J’aurais beau avoir un diplôme de théologie, et servir comme prêtre ou évêque, si je manque de magnanimité, ne vais-je pas stagner en tant qu’individu et en tant que croyant, et mener mon troupeau vers les sables mouvants de la médiocrité ?
La compétence professionnelle dépasse largement la simple possession d’une connaissance technique ou académique. Elle inclut la capacité de bien utiliser cette connaissance pour des objectifs fructueux.
La caractéristique d’un leader est sa magnanimité et son humilité. Le leader a un rêve, un rêve qui donne invariablement naissance à une vision et à une mission. C’est la vertu de magnanimité qui lui confère cet état d’esprit élevé.
[1] P. Drucker, The Practice of Management, Elsevier, Oxford, 2005, p. 155.
[2] W. Bennis, On Becoming a Leader, New York: Addison-Wesley, 1989. Introduction.
[3] Sg 8, 7.
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